Ce samedi 12 avril, sous un ciel printanier, les coteaux de Scherwiller ont résonné non pas au bruit des tracteurs, mais au pas des chevaux. Organisée par Boris Kachelhoffer, vigneron du Domaine EXeTerra, cette rencontre a rassemblé des passionnés venus partager leur expérience et leur amour du travail de la vigne au rythme des chevaux. Une occasion unique de découvrir les enjeux, les défis et les bénéfices de cette pratique ancestrale, qui séduit de plus en plus de vignerons en quête d’authenticité et de durabilité.
Un lieu chargé d’histoire et de symboles
La matinée s’est déroulée au Clos Rittersberg, une parcelle emblématique qui appartenait autrefois au Domaine Jean-Paul Schmitt. Ce lieu, aujourd’hui entre les mains de Boris Kachelhoffer, est devenu le théâtre d’une initiative qui célèbre la connexion entre l’homme, l’animal et la terre. “C’est une chance pour nous d’avoir pu nous lancer ici“, explique Boris.
Depuis plus de dix ans, cet événement rassemble des vignerons, des prestataires et des passionnés de traction animale. “Au début, nous étions trois chevaux“, se souvient Boris. “Aujourd’hui, nous en comptons dix, et ce chiffre ne cesse de croître“. Une preuve que cette pratique, loin d’être anecdotique, gagne du terrain dans le monde viticole.
“Le cheval apporte une sensibilité unique“
Pour Boris Kachelhoffer, la traction animale n’est pas qu’une simple alternative au tracteur. C’est une philosophie, une manière de travailler la vigne qui redonne une place centrale à l’animal et à l’humain. “Le cheval apporte un côté vivant à ce que l’on fait“, explique-t-il.
Cette approche est particulièrement adaptée à la biodynamie, une méthode agricole qui intègre les animaux comme partie intégrante de l’écosystème viticole. “En biodynamie, il faut des animaux… le cheval nous permet de développer une sensibilité différente, plus en harmonie avec la nature“, insiste Boris. Pour lui, la traction animale ne relève pas seulement de l’efficacité agronomique – elle est aussi philosophique et humaine.
Formé par Pierre Simler, l’un des précurseurs en Alsace, Boris insiste sur la transmission et la nécessité de former de nouveaux meneurs. La traction animale, dit-il, “développe une sensibilité particulière, une lecture du sol et de la plante qu’aucun engin ne peut remplacer“.
Dix ans d’expérience et de fidélité
Vigneron et prestataire, Pierre Eiche pratique la traction animale depuis 2015, après avoir été formé l’année précédente. Pour lui, cette journée est avant tout un moment de partage et de convivialité, loin de la solitude du travail quotidien. Il en profite pour familiariser son jeune cheval avec d’autres congénères et enrichir son savoir-faire par l’échange.
Pour lui, travailler avec les chevaux est une évidence : “Avec le cheval, je suis en contact direct avec le sol. Je sens ce qu’il se passe, je suis plus précis dans mes travaux“.
Cette sensibilité, selon lui, se ressent jusque dans la qualité des raisins : “Les parcelles travaillées au cheval sont plus saines, plus équilibrées. Cela se traduit par des raisins de meilleure qualité“. Mais Pierre reste humble : “Est-ce que cela fait de moi un meilleur vigneron ? Je ne sais pas. Mais cela me permet de faire les choses comme je les aime“.
La touche féminine et intuitive
La présence de Michèle Ramponi, vigneronne sur le domaine Binner et fondatrice de la marque Mëralla, apporte une dimension sensible et militante à l’événement. Aux commandes du cheval Vizir, un vétéran expérimenté issu de la ferme sans nom, elle incarne une nouvelle génération de femmes meneuses qui s’imposent dans un univers encore très masculin.
Pour elle, la traction animale est un métier profondément féminin : “Les femmes ont une facilité naturelle à entrer en contact avec les chevaux“, explique-t-elle.
Son cheval, Vizir, est un véritable partenaire de travail : “C’est un cheval qui a beaucoup d’expérience, qui a travaillé sur des concours de débardage. Avec lui, je n’ai pas besoin de forcer. Il suffit de trouver le bon équilibre“.
“Ce métier demande plus d’intuition que de force brute. Il m’a appris à me positionner autrement, à collaborer avec le cheval plutôt que de le dominer“, confie-t-elle. Formée récemment, elle souhaite transmettre cette passion et faire germer de nouvelles vocations.
Le prestataire en pleine évolution
Laurent Beck, prestataire viticole en centre-Alsace, représente un profil hybride entre modernité et tradition. Spécialiste des travaux mécaniques, il a récemment intégré le cheval dans son arsenal technique. Pourquoi ce virage ? Par pragmatisme autant que par conviction : “Certaines parcelles sont impossibles à travailler avec un tracteur… le cheval permet d’obtenir un travail de qualité, tout en respectant la vigne“, explique-t-il.
En complémentarité avec ses outils classiques, la traction animale lui permet aujourd’hui de proposer un panel de services sur-mesure, tout en valorisant économiquement les bouteilles de ses clients. “C’est une prestation de qualité qui répond à une demande croissante“, précise Laurent.
Une autre viticulture est possible
Au-delà des anecdotes et des profils variés, cette matinée à Scherwiller témoigne d’un mouvement profond, où l’agriculture se réinvente dans le respect des cycles naturels. Ici, la performance ne se mesure pas seulement en rendement à l’hectare, mais en qualité de sol, bien-être animal, et cohérence globale.
Alors que la viticulture affronte des défis climatiques, économiques et sociaux, des voix comme celles de Boris, Pierre, Michèle ou Laurent tracent une voie alternative, plus douce, plus humaine – et peut-être plus résiliente.