20 ans… un bel âge me direz-vous ?!? Pour un bon vin c’est peut-être encore jeune, en devenir. Que dire à l’échelle d’un patrimoine qui puise ses sources cinq siècles en arrière.
Lorsque vous parlez d’un des vins des Hospices, 99% des personnes penseront immanquablement aux Hospices de Beaune, mais en Alsace, à Strasbourg, existe une cave historique datant de 1395. C’est au 7ème siècle que l’on trouve la première trace d’un hôpital de Strasbourg. La cave fut construite pour permettre à l’établissement situé en périphérie de la ville, pour isoler les malades contagieux, de vivre en autarcie. Les 1200m² d’espace vouté servaient au stockage des vins considérés comme un médicament et un aliment de base, d’où une consommation courante par l’ensemble de la population présente à l’hôpital ; mais on y conservait également du grain et des denrées périssables.
L’hôpital de Strasbourg est le plus gros propriétaire foncier d’Alsace avec 3000 hectares de terres agricoles et forestières. Il possède actuellement très peu de vignes et n’en exploite aucune. Ce patrimoine foncier provient de dons et de legs, d’une part de personnes désirant obtenir la rédemption de leur âme, d’autre part de personnes ne pouvant payer les frais hospitaliers en monnaies sonnantes et trébuchantes.
Au 17ème avec les progrès de la médecine et de la chirurgie, l’hôpital se médicalise et les quantités de vins distribuées aux malades sont de plus en plus réduites.
Le 6 novembre 1716, un incendie dévaste l’hôpital, détruit tout sauf la cave qui renferme trois foudres historiques datant de 1472, 1519 et 1525. La Cave historique des hospices de Strasbourg possède le plus vieux vin en foudre au monde, du millésime 1472.
Claude Muller, historien, s’est penché sur ce vin de légende en recherchant des mentions de celui-ci dans les archives, ce qui lui a permis de voyager.
Le 30 mai 1719, en pleine reconstruction de l’hôpital de Strasbourg (1717-1724), Stanislas Leszczynski, père de Marie, épouse de Louis XV, a gouté le vieux vin lors de sa visite (archives de Strasbourg). En 1721 un militaire en visite à Strasbourg déclare qu’on peut goûter des vins vieux de 100 ans, conservés en foudre à la cave de l’hôpital (archives d’Avignon). En 1753 un autre militaire de passage à Strasbourg indique qu’on voit dans les caves de l’hôpital du vin de 1445, 1472 et 1517 ; c’est la première mention du millésime légendaire (archives de Nancy). En 1770 le comte de Montboissier précise que la cave possède un très petit tonneau contenant du vin de Wolxheim (première mention de sa provenance) conservé depuis 1472 (archives de Paris). Le 23 juin 1773 première description du vin et interrogation, un inspecteur des fortifications écrit avoir goûté des vins prétendus de 1472, 1519 et 1525. A mesure que le vin s’évapore, il est mis dans des tonneaux plus petits, le vin est foncé en couleur comme le vin d’Espagne, a le goût de pierre à fusil, soufre et miel.
En 1793, Armand Gaston Camus découvre des foudres immenses dans les grandes salles voutées de la cave des hôpitaux de Strasbourg et, au milieu, trois petits tonneaux protégés par une grille, portant des étiquettes bien visibles des millésimes 1472, 1519, 1525. De l’avis du personnel, les petits foudres s’entretiennent par ajouts de vins toujours excellents. Alors 1472 mythe ou réalité ?
Philippe Faure-Brac (meilleur sommelier du monde 1992) a indiqué qu’on ajoute du vin pour combler le vide mais également pour éduquer, le vin du départ raconte une histoire au vin qui arrive, il l’accueille, lui transmet toutes ses saveurs particulières et s’enrichit des différentes générations.
20 ans c’est la différence qui existe entre un patrimoine présenté comme un joyau et un bâtiment quelconque tombé dans l’oubli.
La cave historique des hospices de Strasbourg est un patrimoine pour la ville et pour l’Alsace. Or un patrimoine qui ne vit pas se délite, se dégrade et engendre des coûts considérables pour son entretien, ce qui était le cas de ce lieu et de son magasin de vente de vin à emporter présent dans l’enceinte même des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Au début des années 90, l’utilisation propre des chais fut abandonnée, les foudres en bois se dégradaient, les plus importants s’asséchaient tandis que les plus petits moisissaient. En 1994 la cave est condamnée à disparaître. C’est alors qu’Edouard Couty, directeur général, demande à Laurent Schott, directeur des affaires économiques, de relancer l’activité du magasin en le positionnant avec des vins qualitatifs pour en faire un endroit incontournable pour les amateurs éclairés et d’améliorer la notoriété de la cave en proposant des visites commentées, en louant le lieu pour des événements, pour en faire la vitrine des vins d’Alsace en plein cœur de la capitale européenne et en faire une offre touristique.
L’objectif est atteint mais les pertes ne sont pas compensées par l’augmentation de l’activité du magasin.
L’espoir de renaissance de la cave arrive avec la proposition des œnologues d’Alsace. En 1996, pour le 600ème anniversaire de la Cave Historique de Strasbourg, les œnologues ont rénové trois foudres pour y vinifier et y élever deux cuvées, mises en bouteilles sur place. En même temps, ils ont vinifié des cuvées identiques dans une autre cave et ont fait uniquement l’élevage dans les foudres en bois de la cave historique, ce qui a démontré que l’élevage sur place améliorait considérablement ces vins, d’où une dispense d’effectuer les fermentations au sein de l’hôpital. Ce projet fut possible grâce à l’intervention de Gérard Barbier, président des œnologues, qui fit découvrir ce patrimoine vinicole à Pierre Sparr, président régional des œnologues, qui y vit l’occasion de vinifier dans des foudres en bois, un rêve pour celui qui n’a fait que des vinifications dans des cuves en ciment dans sa cave de Sigolsheim, entièrement détruite lors de la seconde guerre mondiale.
Après cette constatation il a fallut convaincre les vignerons alsaciens du bien-fondé de ce projet pour sauver ce patrimoine et négocier l’accord de partenariat avec les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Après avoir associé une trentaine de viticulteurs issus des trois familles professionnelles (vignerons indépendants, négoces et coopératives), le parcours du combattant n’était pas terminé. Il fallut encore convaincre les différentes autorités compétentes dans le domaine du vin de l’intérêt d’un partenariat particulier entre une structure agricole et les hôpitaux.
Comment une cave peut trouver sa place dans un hôpital ?
Les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont réussi l’alliance entre la tradition et la modernité. La SICA (société d’intérêt collectif agricole) maintient ce patrimoine exceptionnel vivant par son activité, la restauration des chais et les bénéfices obtenus par les ventes des vins des membres au magasin de la cave permettant le financement de matériel médical.
20 ans pour une société c’est jeune et en même temps respectable, un âge où on n’a plus grand chose à prouver pensez-vous…. erreur ?!?
La Cave Historique a l’ambition d’être la vitrine des vins d’Alsace, c’est pourquoi dans les statuts de la SICA fut rédigée une charte de qualité stricte et un règlement intérieur. Pour respecter cette charte de qualité, chaque année, au mois de janvier, est organisée une dégustation à l’aveugle des vins des membres de la SICA pour sélectionner ceux qui auront le privilège d’être élevés dans les foudres des chais. Le but de cette dégustation particulière est de sélectionner les vins les plus prometteurs du millésime ; on déguste des vins non filtrés qui sont en devenir, il faut intégrer dans les paramètres de dégustation ce que l’élevage en foudre peut apporter au vin et se projeter dans l’avenir.
Mercredi 18 janvier, 120 dégustateurs, professionnels du vin, sommeliers, amateurs, ont été conviés à la dégustation de 98 échantillons pour déterminer ceux qui seront les garants de la qualité et de l’image de la cave et des vins des Hospices de Strasbourg. Le placement des dégustateurs est libre, seul condition un membre de la SICA doit être présent à chaque table pour apporter son expérience de la qualité qu’apporte les foudres, pour aider chacun dans son choix. Serge Dubs, meilleur sommelier du monde 1989, donne les clés pour décrypter le millésime 2016.
L’excellence de la Cave des Hospices s’accroit, les 27 viticulteurs membres de la SICA ont augmenté le volume de vin mit en élevage en 2016 malgré une petite récolte. Au départ, dans la même situation ils préféraient garder le vin chez eux.
Le partenariat est une réussite, la cave historique revit et contribue à la modernité de l’hôpital, tout en élevant la renommée de ces deux entités.
La Cave Historique des Hospices de Strasbourg