Dans le cadre sympathique d’une rencontre au domaine viticole du lycée agricole de Rouffach, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Anne-Lise Lapouge, la nouvelle directrice d’exploitation du Domaine de l’École. Son parcours est aussi riche que les terroirs qu’elle exploite. Entre défis professionnels, adaptations personnelles et passion pour le vin, elle nous livre un témoignage sur son métier et ses aspirations.
Un parcours varié
Anne-Lise Lapouge a débuté sa carrière dans le monde viticole après avoir obtenu son DNO (Diplôme National d’Œnologue) à Bordeaux en 2012. Son parcours est marqué par des expériences variées dans différents lycées agricoles, souvent en tant que contractuelle. « J’ai fait 6 mois au lycée d’Amboise, 3 ans au Lycée Charlemagne à Carcassonne et 3 ans au lycée de Tours-Fondette, » nous confie-t-elle. Ces postes, bien que temporaires, lui ont permis d’acquérir une solide expérience sur le terrain.
Cependant, la stabilité professionnelle n’était pas toujours au rendez-vous. « Dès qu’un titulaire demande le poste, le poste est protégé 3 ans, et au bout de 3 ans, potentiellement, on saute, » explique-t-elle. Pour pallier cette instabilité, elle a décidé de passer un concours pour être titularisée, qu’elle a réussi.
Retour aux sources viticoles
Après deux ans et demi à la Direction Départementale des Territoires à Orléans, où elle travaillait sur des sujets éloignés de la viticulture, elle a saisi l’opportunité de revenir à ses premières amours. « J’ai vu que Rouffach était disponible. Je savais que c’était un beau domaine, c’était une belle opportunité, » raconte-t-elle.
Ce changement de région n’a pas été sans conséquences personnelles. « Moi, j’ai mon compagnon qui est du Nord. C’est vrai que l’Alsace, ça nous éloigne de tout le monde, mais en même temps, il nous fallait une région où il retrouverait facilement du travail, » explique-t-elle. L’Alsace, avec ses opportunités professionnelles et sa qualité de vie, s’est imposée comme le choix idéal.
Une année compliquée mais prometteuse
L’année 2024 a été compliquée pour le Domaine de l’École avec les problématiques climatiques que le millésime a connues, son arrivée comme nouvelle directrice et celle de Florent Issler comme nouveau chef de culture, qui remplaçait le départ à la retraite de Jean-Marc Bentzinger. « C’était pas l’année la plus facile, » admet-elle. Dans les vignes, les conditions météorologiques ont compliqué la maturation des raisins, nécessitant un tri minutieux et une vigilance accrue. « On a beaucoup trié, surtout à la fin, parce qu’il y avait quand même pas mal de pourris, »précise-t-elle.
Malgré ces défis, la qualité des jus s’est révélée surprenante. Le domaine, qui s’étend sur plus de 14 hectares, a su s’adapter aux aléas climatiques. « On a tout vinifié en petits lots, » explique-t-elle, soulignant l’importance de cette flexibilité dans un contexte viticole incertain.
La récolte 2024, bien que variée, a étonné par sa qualité. Les jus s’annoncent prometteurs, et malgré une année redoutée comme difficile, les premiers résultats en cave sont rassurants. Une gestion soignée des macérations, des séparations et des vinifications en petits lots a permis de s’adapter aux défis. Cependant, des cépages comme le Pinot Noir posent problème : malgré une belle matière, sa couleur est jugée trop claire pour les standards du domaine. Le passage en bio, initié en 2015 et achevé en 2022, a également été un défi de taille, mais le domaine a su le relever avec succès.
Une approche pédagogique
L’une des forces du Domaine de l’École réside dans l’implication active des élèves à chaque étape, des vendanges à la dégustation. Chaque année, la classe la plus méritante est récompensée par une dégustation des vins qu’elle a contribué à produire, une façon de valoriser leur travail et de leur faire prendre conscience de l’importance de chaque geste. Pour Anne-Lise Lapouge, cette approche pédagogique est essentielle : transmettre une passion et un savoir-faire va de pair avec la gestion de la production et des choix stratégiques du domaine.
Cependant, face à une jeunesse de plus en plus séduite par la bière artisanale, notamment en Alsace, le défi pour le vin est de rester attractif. Plus accessible et moins codifiée, la bière s’impose comme une alternative perçue comme moins élitiste et souvent plus abordable. Cette tendance incite les vignerons alsaciens à innover dans leur manière d’enseigner et de communiquer. Le domaine, en formant de jeunes ambassadeurs du vin, pourrait jouer un rôle clé pour reconnecter cette nouvelle génération à un univers parfois perçu comme distant ou intimidant. Ainsi, l’éducation et la transmission deviennent des leviers stratégiques pour relever ce défi et réconcilier tradition et modernité.
Une gamme de vins diversifiés et audacieuse
Le Domaine de l’École illustre à merveille la capacité de l’Alsace à produire des vins à la fois diversifiés et audacieux, mêlant tradition et modernité. Parmi ses cuvées phares, le Riesling Côte de Rouffach 2022 séduit par ses arômes d’agrumes frais, son équilibre entre fruité et minéralité, et une touche de sucre résiduel qui rehausse son charme. Le Sylvaner Vieilles Vignes, de son côté, bouleverse les idées reçues : élevé en barrique, il affiche une structure imposante, une belle acidité et une matière qui rivalise à l’aveugle avec certains grands chenins. Ce vin autrefois considéré comme léger s’affirme désormais comme un partenaire idéal pour des plats crémés.
Au cœur de cette diversité, le Pinot Noir émerge comme un pilier et un véritable atout pour le domaine. Le Pinot Noir Côte de Rouffach 2023, puissant mais élégant, démontre une belle matière qui gagnera en finesse avec le temps, laissant entrevoir un avenir prometteur. Ce cépage, souvent comparé à son homologue bourguignon, révèle en Alsace un profil distinctif : il se conserve mieux et séduit par sa fraîcheur et sa souplesse. Ces qualités en font une alternative intéressante pour les amateurs de rouges, en particulier dans le milieu de la restauration.
Le Domaine de l’École de Rouffach, sous la direction d’Anne-Lise Lapouge, incarne parfaitement l’alliance entre tradition viticole et innovation pédagogique. En surmontant les défis climatiques et en intégrant activement les élèves dans le processus de production, le domaine non seulement forme les vignerons de demain, mais contribue également à la préservation et à la promotion des richesses viticoles alsaciennes. Avec des cuvées aussi diversifiées que prometteuses, le domaine se positionne comme un acteur clé dans le paysage viticole régional, prêt à relever les défis futurs avec passion et détermination.
