Dans un petit coin d’Alsace, nichée au cœur du pays Welche, la distillerie Miclo se distingue depuis plusieurs décennies par son savoir-faire ancestral. Ce nom, associé à la qualité des eaux-de-vie, résonne comme un symbole de l’alliance entre tradition et innovation. Bertrand Lutt-Miclo, l’actuel dirigeant et représentant de la troisième génération, nous plonge dans l’histoire fascinante de la distillerie familiale, fondée par son grand-père Gilbert Miclo, et les défis qu’elle doit relever pour rester pertinente dans un marché en perpétuelle mutation.
Une histoire familiale
La distillerie Miclo voit le jour dans les années 1950 sous l’impulsion de Gilbert Miclo. À l’époque, Gilbert et son père étaient grossistes en boissons, distribuant de l’eau minérale, des vins, des jus de fruits, et bien sûr, des eaux-de-vie locales dans les vallées alsaciennes. C’était une époque où les bouilleurs de cru distillaient les fruits récoltés dans les fermes locales, et la production restait rudimentaire. Les fruits étaient simplement assemblés et distillés pour créer une qualité uniformisée, malgré les variations des produits de chaque ferme.
C’est dans les années 1960 que Gilbert prend la décision de s’engager pleinement dans la distillation. Cette transition marque un tournant décisif pour l’entreprise. La famille décide alors de se concentrer uniquement sur la production d’eaux-de-vie de qualité supérieure, mettant fin à l’activité de grossiste. Le premier alambic de la distillerie est installé dans l’ancien hôtel-restaurant Le Faudé, avant que l’entreprise ne déménage dans un bâtiment moderne en 1978.
Bertrand, qui a pris la relève dans les années 2000, nous raconte cette évolution avec une admiration particulière pour les choix visionnaires de son grand-père. Mais si l’histoire de la distillerie est riche, elle est également marquée par des défis constants qui l’ont obligée à s’adapter.
Les défis du marché des eaux-de-vie
Les années 1980 représentent un âge d’or pour la distillerie et le marché des eaux-de-vie en général. Pourtant, cette période faste est de courte durée. Dans les années 1990, le marché connaît une baisse significative, principalement en raison de nouvelles préoccupations réglementaires liées à l’alcoolémie et aux changements dans les goûts des consommateurs. Les jeunes générations se détournent des eaux-de-vie traditionnelles, préférant des spiritueux plus légers ou des produits innovants comme les apéritifs et cocktails.
Bertrand se souvient de cette époque difficile : « Il a fallu s’adapter pour survivre. » La diversification devient alors une nécessité. La distillerie commence à produire d’autres types d’alcool, comme des apéritifs, du gin, des shooters, et même du whisky alsacien, tout en maintenant une production solide d’eaux-de-vie, qui reste au cœur de leur activité. Aujourd’hui, les eaux-de-vie représentent encore 50 % du chiffre d’affaires en valeur, mais le whisky et les autres produits prennent de plus en plus de place dans le portefeuille de la distillerie.
La sélection des fruits, un art en soi
L’une des clés du succès de la distillerie Miclo réside dans la qualité des fruits utilisés pour la distillation. La sélection des fruits est un processus délicat et essentiel pour garantir la qualité des produits finis. « Un fruit mûr, avec une teneur en sucre élevée, est la garantie d’une eau-de-vie aromatique et riche en saveurs », explique Bertrand. Il souligne l’importance de la maturité du fruit et l’attention particulière portée à l’origine des produits.
Si la distillerie privilégie autant que possible des fruits locaux, principalement en provenance de France, certains produits, comme la framboise sauvage, doivent être importés de l’Est de l’Europe pour des raisons de coût et de disponibilité. Bertrand souligne l’intérêt croissant des consommateurs pour la traçabilité des fruits et la qualité des pratiques agricoles, comme l’agriculture biologique. « Les clients veulent savoir d’où viennent les produits et comment ils sont cultivés. Il faut être transparent », dit-il.
Le processus de distillation
La distillation chez Miclo repose sur une technique ancienne mais toujours aussi efficace : la double distillation. Ce processus permet de raffiner l’alcool brut en une eau-de-vie pure et savoureuse. Lors de la première distillation, la compote de fruits est chauffée dans l’alambic pour produire un alcool brut, appelé “flegme”. Ce flegme est ensuite soumis à une seconde distillation où les impuretés comme les “têtes” et les “queues” (les premières et dernières fractions de la distillation) sont éliminées. Le “cœur” de la distillation, qui contient le meilleur de l’arôme du fruit, est conservé pour la mise en bouteille.
Bien que les alambics en cuivre de 1978 soient encore utilisés avec succès, la distillerie envisage de nouvelles technologies, telles que la distillation sous vide, qui permettrait d’extraire les arômes des fruits à des températures plus basses et de mieux préserver les saveurs. Cependant, ces technologies ont un coût élevé et représentent des risques, ce qui freine pour l’instant leur adoption chez Miclo. Bertrand n’exclut pas l’idée d’introduire ces innovations à l’avenir si cela correspond à l’évolution du marché.
L’innovation au service de la tradition
L’innovation est au cœur de la stratégie de la distillerie Miclo pour rester compétitive. Bertrand explique que l’entreprise a lancé plusieurs nouveaux produits ces dernières années, comme le Whisky Alsacien et la liqueur de Fleur de Sureau. Ces produits innovants permettent à la distillerie d’attirer de nouveaux clients tout en fidélisant les anciens. Environ 50 % du chiffre d’affaires de l’entreprise provient désormais de produits lancés au cours de la dernière décennie.
Le lancement du whisky en 2011 a marqué un tournant pour la distillerie Miclo. Bertrand se rappelle les défis rencontrés : « Passer d’une production d’eaux-de-vie à celle de whisky a demandé de repenser complètement nos méthodes. » Vieillissement en barriques, gestion des stocks, et sélection des fûts, tout un savoir-faire a dû être acquis. L’approvisionnement en fûts de qualité, notamment ceux de Sauternes, reste un défi, mais Bertrand voit dans ces difficultés une opportunité d’améliorer sans cesse le produit.
Un engagement environnemental fort
La durabilité est un autre axe stratégique pour la distillerie, notamment dans la gestion de ses ressources. La proximité de la Béhine, rivière essentielle de la région et affluent de la Weiss, impose une vigilance accrue sur la consommation d’eau et le traitement des déchets. La distillerie Miclo collabore avec des entreprises spécialisées pour recycler ses déchets et limiter son impact environnemental, en utilisant notamment des procédés comme la méthanisation pour convertir les déchets en énergie.
Quant à la gestion de l’eau, indispensable au processus de distillation, des solutions innovantes sont à l’étude pour réduire la consommation, comme la réutilisation de l’eau pour le chauffage des locaux. Cependant, ces projets, encore coûteux, ne pourront être pleinement déployés qu’à moyen terme.
L’export, des opportunités encore à saisir
Malgré une forte présence locale, la distillerie Miclo explore des marchés internationaux. À ce jour, environ 10 % du chiffre d’affaires provient de l’export, principalement vers des pays limitrophes comme la Belgique ou l’Angleterre. Ces marchés, portés par la culture du cocktail, sont plus ouverts aux eaux-de-vie.
Cependant, entrer sur des marchés plus lointains, comme les États-Unis ou l’Asie, reste un défi. « Quand on présente une eau-de-vie de mirabelle ou de poire à ces marchés, ils ne savent pas de quoi il s’agit », raconte Bertrand en souriant. En revanche, des produits plus connus comme le whisky et le gin ouvrent davantage de portes à l’international, ce qui permet de capitaliser sur cette opportunité.
Production locale et succès d’été
Si la notion de “Whisky Alsacien” trouve un écho en local, elle reste encore peu significative à l’échelle nationale. « Ce n’est pas la provenance qui pousse à l’achat, mais plutôt la qualité perçue et la réputation de la marque », confie Bertrand. La distillerie Miclo mise donc davantage sur la construction de son image de marque que sur l’étiquette géographique.
Néanmoins, la production locale reste un pilier essentiel de l’identité de la distillerie. Le succès récent des apéritifs d’été, des soirées conviviales organisées dans le jardin de l’entreprise, montre que les consommateurs sont sensibles à cette proximité et à la qualité des produits proposés. Ces événements permettent de renforcer les liens avec les clientstout en faisant découvrir les produits de manière ludique.
Une clientèle locale très fidèle
L’un des atouts majeurs de la distillerie est sa clientèle locale. Un tiers de son chiffre d’affaires provient des ventes directes aux particuliers, que ce soit dans les boutiques de Lapoutroie, Kaysersberg et Riquewihr ou via le site en ligne. Bertrand note l’importance croissante de la vente directe, notamment grâce à la présence de la distillerie dans une région touristique.
Les deux tiers restants du chiffre d’affaires proviennent des professionnels, notamment les cavistes et la grande distribution. Bertrand insiste sur l’importance de maintenir une relation étroite avec ces partenaires pour s’assurer que les produits Miclo restent visibles et accessibles sur le marché.
Les eaux-de-vie, une renaissance possible ?
Bien que les eaux-de-vie traditionnelles aient vu leur consommation décliner ces dernières années, Bertrand reste optimiste. Il perçoit un regain d’intérêt pour ces spiritueux chez les jeunes consommateurs, qui recherchent des produits de qualité, artisanaux et authentiques. Il croit également que la mixologie, en pleine expansion, pourrait donner un nouveau souffle aux eaux-de-vie en les intégrant dans des cocktails innovants.
Tournée vers l’avenir
La distillerie Miclo ne compte pas s’arrêter là. Plusieurs projets sont en cours, notamment l’aménagement d’espaces pédagogiques pour des ateliers et des formations autour du whisky. De nouveaux produits sont également en préparation, avec une attention particulière portée à l’innovation tout en restant fidèle aux racines de l’entreprise.
Bertrand conclut avec une réflexion qui résume bien l’esprit de la distillerie : « Nous avons su évoluer tout en restant fidèles à nos valeurs. L’important, c’est de ne jamais cesser d’apprendre et de s’adapter. » Avec une telle philosophie, nul doute que la Distillerie Miclo continuera à prospérer.