Autant la vinification n’a pas de grands secrets pour nous, autant il faut bien admettre que la distillation a été une grande découverte.
C’est Bertrand Lutt qui nous accueille pour nous faire découvrir la distillerie Miclo et qui nous servira de guide. Vivre l’historique de la distillerie Miclo au milieu de la salle des alambics, avec le bruit de la distillation, la vapeur, la petite chaleur ambiante et surtout les odeurs qui vous submergent, il y a quelque chose de fascinant dans cette image… on va dire que c’est l’imprégnation.
Une petite présentation s’impose
La distillerie Miclo se situe dans un bâtiment qui date de 1978. L’entreprise se situait auparavant dans le village de Lapoutroie et comme l’activité grandissait dans les années 70, le manque de place aidant, elle est venue s’installer dans les locaux actuels le long de la route nationale et de la Weiss (rivière).
Bertrand est le directeur commercial, il représente la troisième génération. C’est fin 2009 qu’il rejoint l’entreprise familiale, après trois ans de marketing à Paris. Il est issu d’une filière commerciale, malgré une adolescence passée au sein de l’entreprise familiale ; le métier de la distillation est quelque chose qu’il a appris tardivement et sur le tas. C’est son grand-père (Gilbert) qui a créé l’entreprise en 1962. Il travaille en collaboration avec la deuxième génération, son oncle (Michel Miclo) et sa maman (Marie-Andrée Lutt).
Aujourd’hui le cœur de métier pour la distillerie Miclo reste les eaux-de-vie de fruits, comme ça l’a été à l’époque, mais il faut bien admettre que la consommation a fortement diminuée depuis une vingtaine d’années. Plusieurs facteurs à cette désaffection, la principale que ce ne sont plus forcément des produits à la mode. Ensuite ce sont des produits que l’on ne propose plus trop en restauration et se rajoute à cela un troisième élément qui est la prévention routière avec une recrudescence des contrôles et des sanctions.
Les eaux-de-vie de fruits représentent 70 % du chiffre d’affaire de la maison Miclo, mais la distillerie n’étant pas à la traîne, elle a commencé à se diversifier il y a une vingtaine d’années avec les crèmes de fruits (crème de cassis, crème de mirabelle, etc..), les liqueurs (comme la liqueur de pain d’épices), les produits apéritifs (comme l’amer bière). Il y a une dizaine d’années, toujours pour se diversifier et avoir un large éventail de produits, la distillerie a rajouté dans son giron une maison d’Armagnac du Gers.
L’équipe de la maison Miclo compte une quinzaine de personnes entre la production, les bureaux, l’expédition et la vente. Avec pour la vente, des boutiques à Lapoutroie, Riquewihr et Kaysersberg.
La maison Miclo est considérée comme une distillerie positionnée sur le segment haut de gamme, le réseau de distribution est très large, on peut pêle-mêle compter les cavistes, les épiceries fines, l’hôtellerie restauration, la vente directe aux particuliers au travers de leur boutique et une partie à l’export (l’export représente environ 15 % du chiffre d’affaires). La maison Miclo n’est pas excessivement présente à l’export et cela est dû au fait que les eaux-de-vie ne sont plus à la mode et qu’elles sont perçues comme un produit « franco français ». Le dernier frein tient à un facteur organoleptique, une eau-de-vie qui est faite pour le consommateur français n’est pas forcément du goût du consommateur japonais et donc cela obligerait la maison Miclo à créer un produit spécifique à chaque marché (économiquement trop compliqué pour une entreprise de cette taille). La maison Miclo préfère se focaliser sur le marché régional avec des produits tendance comme l’amer bière, la vodka, les liqueurs, les whisky, etc..
Les alcools blancs ou forts.
Pour les eaux-de-vie de fruit la matière première est le fruit frais que la distillerie va réceptionner de juin à septembre. Il faut que les fruits soient mûrs et sucrés, la saison commence avec la cerise, puis ce sera la mirabelle, la framboise, etc… La distillerie travaille essentiellement des fruits frais, excepté la framboise sauvage et la prunelle sauvage qui arrivent congelées, ce sont des fruits que l’on ne trouve pas en grosse quantité en France, donc la distillerie a l’obligation de les faire venir de Pologne. Les autres fruits arrivent frais (on va prendre pour exemple la poire Williams (qui est l’eau-de-vie la plus vendue et la plus demandée), la poire arrive à la distillerie dans de grosses caisses en bois (dans son état naturel), la première étape consiste à broyer le fruit pour en faire une sorte de compote, puis cette compote de poire va être mise en fermentation pendant deux à trois semaines. La distillerie dispose de dix cuves de fermentation qui peuvent accueillir 40 tonnes.
La distillation
Cette étape achevée, on achemine cette purée de fruits par pompage dans l’alambic jusqu’à un niveau préétabli, ce qui représente environ 1500 kg de purée de fruits (la distillerie dispose de deux alambics de 1500 kg et de deux autres de 1000 kg). On ferme les alambics et on met à chauffer pour la première distillation. A l’époque les alambic fonctionnaient au feu de bois, maintenant c’est moins romantique ils fonctionnent au gaz. La chauffe commence au bain-marie, la purée de fruits montant en température jusqu’à arriver à ébullition. A ce stade, elle commencera à dégager de la vapeur qui monte dans le château de l’alambic (la coiffe en cuivre qui surplombe l’alambic), puis passe dans un tuyau horizontal que l’on appelle le col-de-cygne. La présence de cuivre dans les alambics est vraiment très importante puisque c’est un formidable propagateur de chaleur et en plus ça a l’avantage de bien présenter. Ensuite la vapeur redescend dans une colonne en inox. Ce qui n’est pas visible dans cette colonne c’est le serpentin qui est baigné dans de l’eau glacée. C’est le choc de la vapeur circulant dans ce serpentin, qui au contact de l’eau glacée donne les premières gouttes d’un liquide incolore qui est de l’alcool. Grosso modo pour 1500 kg de compote de poire on obtient environ 400 litres d’alcool. Dans un premier temps le degré d’alcool va être très faible puisqu’il ne sortira qu’à environ 20° lors de cette première distillation. Le résultat est appelé le « flegme » dans le jargon.
La distillerie rentre environ 300 tonnes de poires et pendant tout l’été elle va distiller cette purée, puis l’alcool obtenu sera stocké. Cette opération achevée, c’est au tour de la deuxième distillation dont le but principal est d’affiner l’alcool obtenu lors de la première distillation. Lors de cette deuxième opération les alambics sont à nouveau remplis mais non plus avec de la purée mais avec l’alcool obtenu et on lance une seconde chauffe d’où l’appellation double distillation. Cette double distillation a pour but de concentrer les parfums et l’alcool.
Il faut savoir que le taux d’alcool à ce moment-là (la tête de distillation) est très élevé 85° à 75°, cette tête de distillation n’a que peu d’intérêt puisque l’alcool est trop élevé et les arômes et parfums sont très peu perceptibles.
Le but est de laisser s’écouler l’alcool au fur et à mesure de la journée puisque l’objectif est de faire diminuer l’alcool jusqu’à 15° en fin de distillation.
L’objectif principal de cette seconde distillation est d’obtenir le cœur de distillation, c’est vraiment la partie noble qui est la plus intéressante. Le cœur de distillation (60 à 70 litres) est situé de 75° à 55°, c’est là que l’on a le meilleur équilibre entre l’alcool et le fruit.
En fin de distillation (les queues de distillation), le taux d’alcool est inférieur à 55° et est une partie qui intéresse peu car le parfum du fruit est passé.
Une fois la distillation achevée, le cœur de distillation est stocké en vue d’un vieillissement.
Les têtes et les queues de distillation ne peuvent être jetées puisqu’il s’agit toujours encore d’alcool, mais par contre elles sont utilisées pour l’élaboration de crèmes ou de liqueurs de fruits.
Ce procédé de distillation est identique pour tous les fruits à une exception notable : le Marc de Gewurztraminer.
La matière première est le raisin (Gewurztraminer), elle est pressée chez le viticulteur (Bestheim) en septembre, octobre. Puis la distillerie récupère les marcs (les peaux de raisin avec les grappes), la première phase consiste à égrapper les marcs pour qu’il ne reste plus que les peaux. La deuxième phase consiste à mettre entre 50 à 80 tonnes (selon les années) de marcs en fermentation pendant deux mois. C’est en janvier que démarre la distillation des marcs, mais a contrario des autres eaux-de-vie de fruits, le marc ne peut pas être pompé puisque il s’agit d’une matière sèche.
La technique qui a été trouvée consiste à remplir de gros paniers en cuivre du diamètre de l’alambic, d’ouvrir l’alambic par le haut et d’y introduire les paniers (trois distillations par jour et par alambic). Chaque alambic peut contenir un panier, l’opération de remplissage du panier (500 kg de marc) est une opération entièrement faite à la main, le marc est le produit qui nécessite le plus de manipulations humaines.
La période (la campagne) de distillation s’étale de juin à fin septembre pour les eaux-de-vie de fruits, de janvier à mai pour le Marc de Gewurztraminer et le whisky. La période d’octobre à décembre est dévolue à la production et l’expédition pour répondre aux demandes de fin d’année.
Une matière première au top.
La partie distillation est vraiment la partie la plus sensible car elle demande de l’expérience, des fruits de grande qualité et c’est une partie où l’approximation n’a pas sa place car le vieillissement ne rattrapera pas une mauvaise distillation. Ce qui est très important au niveau de la distillation c’est d’avoir des fruits de qualité, c’est-à-dire murs et sucrés pour avoir au final une eau-de-vie parfumée. Si par hasard il devait y avoir des fruits trop jeunes, des poires trop vertes ou des mirabelles pas assez sucrées, il y aurait au final une eau-de-vie pas très intéressante.
Comme nous l’écrivions plus haut, la plupart des fruits viennent de France, la poire vient de la vallée du Rhône, la mirabelle, la cerise, la quetsche et le marc de Gewurztraminer viennent de l’est de la France. Les fournisseurs sont avant tout choisis auprès d’un grossiste en fruits à qui l’on a donné les besoins (au mois de mai) et c’est lui qui va sélectionner tel ou tel fournisseur. Preuve de la constance, la distillerie Miclo travaille avec les mêmes fournisseurs depuis plus d’une dizaine d’années (ce qui en dit beaucoup).
Évidemment la qualité rentre en ligne de compte, la distillerie a déjà refusé des lots au moment de la livraison (un fruit pas assez sucré ou trop gorgé d’eau), mais il ne faut pas non plus occulter l’aspect économique, le marché des fruits reste un marché très sensible car il est très dépendant des conditions climatiques et bien sûr la distillerie doit en tenir compte, il n’est pas rare que certains fruits en cours de saison ne soient pas approvisionnés du fait de leur prix excessif.
Mais aussi… à l’époque les déchets de fruits pouvaient être utilisés comme engrais dans les champs et les vignes. Aujourd’hui c’est totalement interdit, c’est pourquoi les déchets de distillation sont récupérés par une société de Ribeauvillé (Agrivalor) qui les valorise sous forme de chaleur ou de gaz.
Derniers venus, les whiskys
La distillerie Miclo a lancé en septembre dernier une gamme de whisky (Welche’s Whisky), la gamme compte actuellement trois références, le Single Malt, le Single Malt Fine Tourbe et le Single Malt Tourbé.
La matière première (le brassin) est élaborée et fournie par la brasserie Météor, acheminée en camion citerne. C’est en 2010 que l’entreprise familiale a pour la première fois distillé son whisky. La gamme qui a été lancée l’an dernier a été élaborée avec le millésime 2011. Il faut savoir qu’il y a en permanence 160 barriques (Sauternes, Bourgognes, etc…) en roulement.
La période de distillation du whisky dure environ deux mois et débute en février.
Il y avait une très forte demande et la distillerie Miclo a jugé opportun de se placer sur ce nouveau marché, au vu des premiers chiffres (même si ce n’est jamais gagné) c’est déjà une belle réussite.
Mais aussi… la distillerie fait une grosse consommation d’eau d’où sa présence à côté d’une rivière. Elle utilise beaucoup d’eau entre autres pour le refroidissement (serpentins), pour réduire les eaux-de-vie et pour la chauffe au bain-marie.
Un vieillissement comme le vin
La cuverie est majoritairement en inox, le reste en bois pour le vieillissement des alcools en barrique. La distillerie dispose d’une quarantaine de cuve de 9000 litres et d’une autre série de cuves de plus petit gabarit (5000 et 2500 litres). La distillerie Miclo a toujours eu une politique de stockage pour justement faire face aux années difficiles.
Le vieillissement des eaux-de-vie « Tradition » est de deux ans, les eaux-de-vie « Grande réserve » et de gamme supérieure sont vieillies trois à quatre ans. Les alcools en cuve sont appelés dans le jargon « à fort degré », puisqu’il est brut sortie de l’alambic. Pour exemple un marc de Gewurztraminer 2015 titre 68°, ce n’est que lors de sa mise en bouteille qu’il faudra le réduire à 45° (AOC oblige), c’est là qu’intervient l’opération de mouillage. Le mouillage consiste à rajouter de l’eau de source à l’alcool, cette opération s’effectue dans une cuve réfrigérée à -3°C pour éviter que le mélange ne se trouble, pour finir il est passé dans un filtre à membrane de cellulose avant d’être embouteillé.
Les liqueurs et les crèmes
Il faut savoir que les liqueurs et les crèmes sont quasiment les mêmes produits à la base. Ce qui les différencient c’est le taux d’alcool (les liqueurs sont généralement plus alcoolisées) et le taux de sucre (environ 200 g/l pour les liqueurs contre 300 g/l pour les crèmes). Les liqueurs et les crèmes sont des produits simples à réaliser, il n’y a pas besoin de distillation et encore moins de vieillissement. Nous allons prendre l’exemple de l’élaboration d’une liqueur de framboise, il faut de l’eau-de-vie de framboise, du jus de framboise frais, du sucre, du glucose (sucre épaississant) et de l’eau. On mélange ces ingrédients, on filtre et on obtient le produit fini, la subtilité réside dans la recette, les ingrédients et les quantités sont différents d’une distillerie à l’autre.
Comme le vin
La chaine de production se rapproche beaucoup de ce que l’on connait en viticulture. Le procédé est très classique puisqu’il débute avec une filtration, ensuite c’est le branchement direct de la cuve souhaitée à une chaine de mise en bouteille, puis l’étiquetage et la mise en carton.
A l’expédition, le stockage des bouteilles est une particularité par rapport au monde viticole, puisque les bouteilles sont placées en palettes debout. Il n’y a pas d’explication particulière, juste la volonté de ne pas détériorer les bouchons lorsqu’ils sont en lièges.
Une belle boutique
La distillerie Miclo dispose d’une très belle boutique où vous pouvez faire une dégustation et pourquoi pas la coupler avec une visite qu’il suffit de programmer en amont par internet ou en appelant directement le bureau. Suivant la période vous aurez aussi la chance de pouvoir évoluer au milieu du jardin didactique (juste devant la boutique) et d’admirer les plantes qui sont utilisées par la distillerie.
La distillerie Miclo