Dans l’univers feutré des spiritueux, l’Alsace, terre de grands vins et d’innovations, se distingue une fois de plus en réinventant l’eau-de-vie traditionnelle. Sous l’impulsion d’Étienne-Arnaud Dopff, à la tête du domaine Dopff au Moulin, et en collaboration avec Nicolas Lombard, propriétaire de la distillerie Nusbaumer, un projet audacieux a vu le jour : créer un “brandy” d’exception à partir de cépages locaux.
Hier matin, au domaine Dopff au Moulin, Étienne-Arnaud Dopff nous a ouvert ses portes pour nous dévoiler le fruit d’une collaboration remarquable. Cette initiative incarne un retour aux sources et la volonté de redonner ses lettres de noblesse à un produit longtemps négligé : l’eau-de-vie de vin.
Tout commence par une rencontre. « Nicolas Lombard, qui a repris la distillerie Nusbaumer, nous a présenté sa vision et sa philosophie, très alignées avec nos valeurs. De fil en aiguille, l’idée de créer une eau-de-vie à base de vin s’est imposée naturellement », raconte Étienne-Arnaud Dopff. Inspirés par le potentiel inexploité de ce type de spiritueux en Alsace, les équipes ont décidé d’expérimenter trois cépages : le Pinot Blanc, le Gewurztraminer, et le Chardonnay.
« On s’est dit : pourquoi ne pas essayer de remettre au goût du jour ce qu’on appelle l’eau-de-vie de vin, le brandy ? », raconte Étienne-Arnaud. Une idée ambitieuse qui, bien que simple en apparence, a exigé une réflexion approfondie et une synergie étroite entre les deux artisans.
Le choix des cépages
Pour ce projet, trois cépages ont été sélectionnés pour leurs profils distincts : un vin blanc sec pour le Pinot Blanc, un vin fruité et expressif pour le Gewürztraminer, et un vin de base Crémant pour le Chardonnay. Chaque cépage a été distillé séparément pour ensuite être assemblé. « On a fait 3 cubis de 1000 litres qu’on lui a transférés« . Le choix de ces cépages n’était pas anodin… Chacun apporte une dimension unique à l’assemblage final, créant une harmonie complexe et équilibrée.
Les trois eaux-de-vie ont été distillées et laissées à vieillir pendant deux ans. « Au bout des 2 ans, il y a eu une dégustation. On a testé les 3 séparément. Les 3 donnaient des choses très intéressantes, » raconte Étienne-Arnaud. L’assemblage des trois eaux-de-vie a révélé une harmonie inattendue, chaque cépage apportant sa propre complexité au produit final. Le vieillissement en barrique a ajouté une patine supplémentaire, adoucissant les arômes et enrichissant la couleur.
L’expérience de dégustation
L’expérience de dégustation de cette eau-de-vie de vin est une véritable aventure sensorielle. Chaque gorgée révèle des nuances subtiles et complexes, fruit de l’assemblage des trois cépages. Tout d’abord, la dégustation débute avec les alcools de base. Le Pinot Blanc, qui titre 49 degrés, se distingue par son côté chaleureux, alcoolisé et relativement neutre. « Le Pinot Blanc, c’est un cépage qui a une belle acidité et une fraîcheur qui se retrouvent dans l’eau-de-vie, » explique Étienne-Arnaud. Le Gewurztraminer, qui titre 54 degrés, ajoute une expérience riche et complexe avec des notes épicées, de bâton de réglisse et une belle richesse aromatique. « Le nez est vraiment très différent, » explique Étienne-Arnaud. Le Chardonnay, quant à lui, offre du gras, de l’élégance, une perception sucrée avec de la structure. Mais c’est l’assemblage des trois qui a véritablement surpris.
L’assemblage des trois cépages a créé une harmonie inattendue, chaque cépage apportant sa propre complexité, mais au final a donné naissance à une eau-de-vie de vin exceptionnelle. « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?« , se sont-ils dit.
L’assemblage des trois donne une expérience gustative unique. Dès le premier nez, les effluves révèlent une élégante douceur vanillée. Puis, après une légère aération, des notes de fruits exotiques viennent enrichir cette première impression. Enfin, la signature du Gewurztraminer s’impose, avec des notes subtiles d’épices et une profondeur vineuse qui ajoute une dimension unique.
En bouche, c’est une explosion. On est frappé par la rondeur, le gras et la texture veloutée. Les arômes de vanille se mêlent à des touches d’épices pour une dégustation aussi complexe qu’harmonieuse. La finale, quant à elle, prolonge le plaisir avec un retour vibrant de fruits exotiques… le résultat d’un savoir-faire d’exception.
La communication et des perspectives d’avenir
La commercialisation de cette eau-de-vie de vin représente un défi en soi. Le Domaine Dopff au Moulin, réputé pour ses vins, doit convaincre les amateurs que cette eau-de-vie n’est pas un simple produit dérivé, mais une création d’exception. Le résultat, disponible en seulement 900 bouteilles, s’adresse aux amateurs de spiritueux rares. « Nous voulons le positionner comme une eau-de-vie d’exception, idéale pour ceux qui cherchent quelque chose d’original et raffiné, » précise Étienne-Arnaud. L’assemblage, réduit à 40°, conserve toute la complexité des trois cépages, avec une texture soyeuse et des arômes floraux, épices et réglisse.
Le domaine ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Étienne-Arnaud nous confie envisager une deuxième édition, « peut-être avec d’autres cépages ou un autre assemblage ».
Héritage et tradition
En 2024, le Domaine Dopff au Moulin a célébré une année exceptionnelle, avec 450 ans d’histoire derrière lui. Ce domaine familial a su marquer son territoire dans le paysage viticole grâce à des innovations audacieuses et un respect des traditions. Retour sur une année riche en événements, entre célébrations et nouveaux projets.
En juin, le domaine a orchestré un événement marquant pour fêter son 450ᵉ anniversaire. La famille Dopff a retracé l’histoire de l’arrivée du premier Dopff à Riquewihr, en provenance du Wurtemberg. Cette célébration, alliant simplicité et élégance, a permis de dévoiler des projets novateurs comme la Cuvée Bartholomé, un crémant d’exception élaboré en édition limitée. Ce millésime 2016 brut nature témoigne du savoir-faire unique du domaine dans l’art des effervescents.
Un autre point fort de l’année a été l’inauguration d’une parcelle d’un hectare et demi sur le Grand Cru Schoenenbourg. Cette parcelle, dédiée à une complantation de cépages alsaciens et champenois, laisse entrevoir la production future d’un effervescent de terroir inédit.
2024 a également été l’occasion pour le domaine de renforcer sa présence sur les marchés étrangers. Grâce à des déplacements à Taïwan, en Australie et dans d’autres pays, les vins Dopff au Moulin continuent de faire briller le savoir-faire alsacien à travers le monde.
Outre ces célébrations, 2024 a été marquée par le fait d’être Grand Maître de la Confrérie Saint-Étienne. Une année riche en événements qui a permis à Étienne-Arnaud Dopff d’accentuer encore un peu plus la promotion des crémants d’Alsace. Parmi les temps forts, un repas entièrement dédié aux bulles alsaciennes a été organisé, mettant en lumière l’excellence des Crémants alsaciens.
L’avenir en mode Bio
Depuis 2021, le Domaine Dopff au Moulin a entamé une conversion totale vers l’agriculture biologique, un projet mûrement réfléchi. « On a pris notre temps pour que l’équipe soit prête, motivée et engagée dans ce défi colossal« , explique Étienne-Arnaud Dopff. Avec 64 hectares à convertir, l’initiative a été divisée en étapes, et d’ici 2027, tout le domaine sera certifié bio.
Le passage au bio n’est pas une simple formalité. Cela nécessite des investissements importants, des ajustements techniques et une rigueur de tous les instants. Malgré les obstacles, Étienne-Arnaud reste convaincu que cette transition est cruciale : « Il faut valoriser cette démarche par la qualité, la régularité et l’ambition de progresser chaque année.«
En redonnant vie à un produit oublié, le duo Dopff au Moulin et Nusbaumer ont su créer une eau-de-vie unique, riche en histoire et en saveurs. Un projet qui, espérons-le, inspirera d’autres initiatives similaires et contribuera à la diversité et à la richesse du patrimoine viticole alsacien. Ce défi ambitieux témoigne de l’innovation dans la tradition, tout en contribuant à l’émergence de nouveaux horizons pour l’avenir de l’Alsace et de ses vins bio.