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Il est 6 heures par une fraîche et brumeuse matinée de mars 2022 lorsque la Brasserie Taal, située dans la vallée de Munster, commence ses activités. L’atmosphère est déjà électrique, oscillant entre passion et précision. Guillaume, le maître brasseur, nous accueille pour une immersion dans son quotidien. « On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise », confie-t-il, soulignant la complexité de la production de bière, un produit festif mais dont la fabrication requiert une expertise minutieuse.

Le processus de brassage 

Guillaume commence par expliquer les trois grandes étapes du brassage : le brassage, la filtration et l’ébullition. Le brassage, ou empattage, consiste à plonger des malts dans de l’eau chaude pour libérer les sucres, une étape cruciale pour la qualité finale du produit. « Nous avons récemment changé de fournisseur de malt. Les anciens étaient mal calibrés ou trop poussiéreux, rendant la filtration plus difficile », précise-t-il.
La filtration, souvent sous-estimée par les néophytes, est essentielle pour obtenir un mou clair. Guillaume insiste sur l’importance d’une préparation adéquate du gâteau de drêche, le résidu des céréales. « Si ce n’est pas homogène, on risque d’avoir une bière visuellement peu appétissante ou un filtre colmaté. »
Les journées commencent par des vérifications et des réglages minutieux. « Le secret d’une bonne filtration est de bien préparer le gâteau de drêche. Ça peut sembler anodin, mais c’est une véritable science », souligne-t-il. Guillaume maîtrise son équipement, même si celui-ci n’est pas toujours adapté à des productions de grande envergure. « Nous utilisons une cuve de brassage qui n’est pas conçue pour des bières très épaisses, mais nous nous adaptons. »

L’importance de la collaboration 

La brasserie artisanale n’est pas seulement un lieu de production ; c’est un espace d’échanges. Guillaume évoque un ami brasseur danois qui lui a donné des conseils précieux pour optimiser son rendement. « Il vient chaque année pendant ses vacances. C’est un maître dans l’art de brasser », dit-il en souriant. Cette entraide est une caractéristique forte de l’univers brassicole. « Le brasseur d’à côté m’appelle régulièrement pour échanger des idées. »
Cette solidarité ne se limite pas aux conseils techniques. Chaque brassin est unique et soumis à des aléas, un fait que tous les brasseurs comprennent. « On a beau tout maîtriser, il y a toujours une part d’imprévu », explique Olivier, avec une fierté palpable.

Une journée de brassage 

À mesure que la journée avance, le liquide commence à se transformer. « Si tu regardes bien dans les coins, tu peux voir une pâte, quelque chose d’un peu nuageux », indique Guillaume en montrant les flocons protéiques flottant dans le mou. Ce phénomène est le signe que le liquide se prépare pour la filtration. « Quand je commence à recirculer, ça devient beau. Le meilleur moment, c’est après l’ébullition, après le houblon », s’enthousiasme-t-il.
La préparation du grain est cruciale. « Nous utilisons 350 kg de grain pour ce brassin. L’objectif est d’obtenir les grains éclatés mais les cosses intactes pour une filtration optimale », précise-t-il. Un mauvais concassage peut entraîner une filtration difficile et une qualité de bière inférieure. Grâce à un nouveau malt anglais, Guillaume a pu éviter l’utilisation d’écorce de riz, auparavant nécessaire pour aérer la filtration.

La Double IPA, un style unique 

Le brassin du jour est une double IPA, mais Guillaume a une vision particulière de ce style. « Pour moi, une double IPA, c’est 8%, ultra sec, sans sucre résiduel et amer. Je ne supporte pas les bières sucrées », déclare-t-il, ajoutant qu’il propose même des versions brutes, avec zéro sucre résiduel, grâce à l’ajout d’une enzyme spécifique.
Le stockage est également une priorité. « La conservation au froid est cruciale pour éviter l’oxydation », souligne-t-il. Avec une chambre froide à 3-4°C, la brasserie s’assure de la qualité de ses produits. Guillaume explique aussi la méthode de récupération de la levure, qu’il stocke et cultive de manière précise. « C’est beaucoup plus hygiénique que les anciennes pratiques », dit-il.
Pour améliorer le processus de filtration, il a conçu un système maison permettant de mesurer la dépression sous le filtre. « Nous avons inventé un petit dispositif à 38 euros qui régule la vitesse de la pompe », explique-t-il, tout en soulignant que le constructeur voulait lui vendre un système à 800 euros qui ne fonctionnait pas.

Innovation et tradition, un équilibre fragile 

La Brasserie Taal, fondée juridiquement en 2018, a dû surmonter de nombreux défis avant de produire sa première bière en mars 2019. Le choix de l’emplacement était stratégique. Bien que le fondateur vive à Strasbourg, il a choisi d’implanter la brasserie à Wihr-Au-Val, impliquant sa famille dans l’aventure. Guillaume, son frère, passionné de brassage, est devenu maître brasseur, tandis que Martin, ancien souffleur de verre, s’occupe de la gestion quotidienne.
L’évolution de Guillaume, passant de brasseur amateur à professionnel reconnu, a été déterminante pour l’établissement. « Nous avons connu une croissance rapide. La demande a été telle que nous avons dû embaucher plus tôt que prévu », se remémore Olivier.

Une brasserie au service de la communauté Au-delà de la production de bière, la brasserie s’est transformée en un lieu de rencontre pour les habitants. Le bar de la brasserie est devenu un point de ralliement, où l’on peut déguster des bières tout en écoutant de la musique ou en assistant à des concerts. L’équipe a su s’adapter pendant la crise sanitaire, mettant en place un système de livraison qui a permis de maintenir l’activité.
La forte identification des habitants à la Brasserie Taal a été illustrée lors de l’inauguration du bar, où des amis et des membres de la communauté sont venus célébrer ce nouveau lieu de convivialité. « Cela montre à quel point notre projet est ancré localement », souligne Olivier.

Perspectives d’avenir 

Avec une croissance déjà impressionnante, la brasserie ne compte pas s’arrêter là. À court terme, elle ambitionne de se positionner comme une référence régionale dans le secteur des brasseries artisanales. L’expansion vers le circuit Café-Hôtel-Restaurant est un axe de développement crucial. Pour cela, la brasserie collabore avec des distributeurs afin d’étendre sa présence dans des épiceries fines et des bars.
À long terme, Olivier envisage un aménagement extérieur pour créer un « beer garden », où des animations régulières et des concerts pourraient faire de la brasserie un véritable lieu de culture. « Nous voulons aller au-delà de la simple production de bière », dit-il, avec un enthousiasme contagieux.

La bière artisanale, un phénomène mondial 

L’essor des brasseries artisanales s’explique par plusieurs facteurs. En réaction à l’industrialisation des produits alimentaires, les consommateurs recherchent aujourd’hui des produits locaux et authentiques. Olivier raconte comment, lors de ses voyages aux États-Unis, il a été frappé par le manque de diversité des bières. Cette expérience a nourri son intérêt pour les brasseries artisanales.
En France, ce mouvement prend de l’ampleur, porté par une demande croissante pour des bières de qualité. Le fondateur cite l’exemple de Stone Brewing, qui a tenté d’implanter la philosophie de la bière artisanale en Europe, mais a rencontré des défis en Allemagne, où le marché est déjà saturé.

Qualité de l’eau et savoir-faire local 

Un élément clé de la Brasserie Taal est l’eau utilisée, provenant directement de la nappe phréatique locale. « Quand tu utilises une eau vivante, tu le sens », explique Olivier, faisant allusion à la qualité de la bière qui en résulte. Ce lien avec la nature est un atout pour la brasserie, qui revendique une production artisanale authentique.
Olivier souligne que les consommateurs ne cherchent pas seulement un produit, mais une expérience. « Quand tu viens ici, tu vois l’équipe, tu peux passer une soirée et boire une bière brassée sur place. » La brasserie ne se limite pas à la vente de bière, elle offre une immersion totale dans son univers.

Une communauté solidaire 

L’entraide entre brasseurs est une caractéristique marquante de ce milieu. Olivier raconte comment il a collaboré avec d’autres brasseries pour créer des produits uniques. « Nous avons créé une triple Neipa avec une autre brasserie locale », illustrant la solidarité qui unit ces artisans.
Cependant, la croissance rapide des microbrasseries pose des questions. « Il y a un phénomène de bulle », avertit Olivier. La multiplication des brasseries pourrait conduire à une saturation du marché, laissant seuls les meilleurs survivre. Pour se démarquer, il est essentiel de continuer à innover et à offrir de la valeur ajoutée.

La Brasserie Taal représente bien plus qu’un simple établissement de production. Elle incarne l’esprit de la communauté, l’authenticité des produits et l’innovation perpétuelle. Chaque gorgée de bière raconte une histoire, celle d’un travail acharné, de passion et de créativité. Alors que le secteur continue de croître, la Brasserie Taal se positionne comme un acteur incontournable de la scène brassicole, alliant tradition et modernité pour offrir une expérience inoubliable.
Dans un monde où l’authenticité et la qualité sont de plus en plus prisées, la Brasserie Taal se présente comme un modèle à suivre, un phare dans la mer des produits industriels. La bière, loin d’être un simple breuvage, devient ici le reflet d’une culture vivante, d’une passion partagée et d’une communauté soudée autour de valeurs communes.